Suite

               De chaque côté de la cheminée, à la suite l'un de l'autre, étaient les lits. D'un côté, deux lits-bateaux, de l'autre un seul lit-clos, avec à sa base une maie, qu'il fallait escalader pour aller se coucher. Mais une fois là-haut on y était bien. C'était mon coin. Je plongeais dans la couette de plumes qui reposait sur une couette de balle. Les plumes étaient des volailles de la ferme et les balles des dernières moissons. Inconnus les matelas ! Mais qu'on y était bien... J'avais bien chaud, alors que passait sous les portes un vent coulis. Là, rien ne pouvait plus m'arriver – car j'étais peureuse – bien enfouie sous les draps tissés par mes grand-mères, et qui grattaient un peu, mais sentaient bon le pré où ils avaient séché.
             Et pour couronner le tout, un édredon rouge, comme tous les autres en satinette rouge, bien gonflant, qui tenait la moitié du lit. Tous les lits étaient ainsi garnis, car toute la famille couchait dans la même pièce. Les pieds des uns, séparés par les bois des lits, touchaient la tête des autres. Bien discret pour des jeunes mariés ! Et cependant... Arthur et Titine, les parents de Marie-Ange, y ont passé leur nuit de noces, et bien d'autres aussi comme eux sûrement.
J'étais pourtant toute petite et assez futée, mais bien jeune, et je ne me posais pas de question sur leur intimité toute relative.
              Pour faire ces lits, que dominaient des rideaux lourds et sombres – ah, on ne cherchait pas la clarté – mis en baldaquin, ma tante se servait d'un long bâton pour border tant soit peu les couvertures, car les lits étaient appuyés le long du mur blanchi à la chaux.
             Les armoires étaient dressées sur la troisième face de la pièce, toutes bien cirées. Il y en a encore au Vau-Belay. Les armoires que ma tante appelait les presses, les presses à lin, .
tous les appelaient comme ça, allez savoir pourquoi. Parlez-en à Louise du Vau-Belay, ne parlez pas d'armoires, parlez de presses, elle saura ce que c'est. Au pied de mon lit-clos, une armoire, puis la fenêtre – une seule pour toute la pièce – où s'appuyait la table de ferme avec son grand tiroir dans lequel entrait un pain de douze livres ! De chaque côté de cette table étaient disposés les bancs.

         Voilà donc la chambre/cuisine/salle à manger. Entre la fenêtre et la porte à deux vantaux, après le mariage de Titine, j'y ai connu une table de toilette, en bois vernis, fabrication de l'oncle José, c'est-à-dire Papa, le menuisier de la famille, avec sa garniture en faïence – pot à eau, cuvette, savonnier – don de Maman, qui était, elle, beaucoup plus moderne de goût et d'idée.D'ailleurs Maman était partie très jeune, servir chez les autres, je ne sais pas à quel âge exactement, pas vingt ans, dix-huit ans peut-être. Elle avait servi comme femme de chambre chez la famille de Roquefeuille à Saint-Brieuc, près du Perroquet vert, non loin de la préfecture. Le personnel faisait quasiment partie de la famille à ce moment-là.

           La cuisinière s'était prise d'affection pour Maman ; elle l'avait vraiment formée. Donc Maman, par rapport à toutes ses belles-sœurs étaient certainement plus dégourdie. Il faut dire aussi que cette cuisinière est devenue la marraine de Maurice. Elle s'appelait Julienne Caron.
            Je ne sais s'ils s'en sont servis souvent de la table de toilette ; elle était plutôt là comme décor. Ils préféraient la cuvette en émail – bien ébréchée ma foi – qu'on allait remplir à la pompe dehors, quand ils ne préféraient pas se laver directement à la pompe même, sauf moi bien sûr.
           Quant aux salles de bain ou autres salles d'eau, cela n'existait pas. Ont-ils pris seulement un bain dans leur vie ? À part quelques bains de pieds, je n'en sais rien ! Chez Grand-mère Hello, moins moderne qu'au Refuge – oui, bien sûr – ils faisaient leur grande toilette dans un cuveau en bois, placé dans la pièce d'entrée de la cave.




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