Papa

Mais Papa est revenu, il n'a pas été libéré tout de suite – et là aussi je ne sais pas si mes souvenirs sont bien nets ou si on me l'a dit, mais enfin je crois que je m'en rappelle vaguement. Donc quand Papa est revenu nous sommes allés l'attendre à la gare de Lamballe – puisque Lamballe Saint-Alban n'était pas desservi, que par une voiture je pense, qui faisait un genre de diligence de l'époque. Nous sommes allés l'attendre, Maman, Maurice et moi. Et je sais que... Si j'ai gardé quand même le souvenir que lorsqu'il est arrivé – moi je ne le connaissais pas bien sûr, ce grand homme avec la moustache. Et puis j'avais vécu beaucoup parmi les femmes pendant la guerre. Je disais toujours :
– Il ne me fait pas peur mon Papa.
À ce qu'on m'a dit, mais quand je l'ai vu, il paraît que... Il m'a saisi bien sûr – nous ne nous connaissions pas – il m'a attrapé et m'a fourré sous sa capote bleu horizon de soldat, a traversé la place – que je vois très bien encore – et nous sommes allés en face avant qu'il ne puisse dire un mot, pris par l'émotion. Nous sommes allés à l'hôtel Bertin, qui a existé mais qui existe sous un autre nom sûrement que celui sous lequel il était connu à l'époque, avant que l'on reprenne notre souffle. Et ça je crois m'en rappeler, ça m'avait fait une impression !
D'ailleurs il m'avait fait tellement d'impression – pour rester sur cette pensée-là – c'est que n'ayant pas été habituée – comme je vous le disais – à vivre parmi les hommes – il avait quand même le parler rude, et enfin c'était un homme quoi – et bien quand il parlait et qu'il voulait me gronder je me fourrais sous la table. Il paraît que je boudais très bien !
Il a retrouvé son travail, Papa, vous le savez, était chef de chantier. Avant-guerre il était donc chez Auffray la grande entreprise de bâtiment de Ploumagoar, près de Guingamp. Il était très bien coté et y travaillait avant la guerre, puisque quand il est parti à la guerre, il était justement à Ploeuc-surLié – ce qui va vous expliquer justement toutes nos amitiés de Plouëc et nos relations. Moi je n'étais pas né, ça bien sûr puisque c'était avant-guerre– il construisait le groupe scolaire de Plouec. Parce que, si vous voyez, Auffray c'était un genre, toute proportion gardé, de Bouygues à l'époque.
Et Papa se déplaçait et était chargé de surveiller toute la construction d'immeubles publics et autres. Donc il prenait pension à ce moment-là – il y avait déjà Maurice bien sûr, et Maman – chez la grand-mère de Mimi. Mimi Féguet à l'époque. Madame Lecoq, qui avait fait connaissance du père de Mimi, beau-père de Tertre par conséquent – Mimi qui n'était pas né non plus puisqu'il est plus jeune que moi. Papa a vu leur mariage, il a vu tout cela, donc il a lié des liens d'amitié très serrés avec toute cette famille.
Ce qui vous explique que de fil en aiguille nous sommes restés amis. Voyez, les enfants nous-mêmes, toutes ces réunions que nous avons eues, toute cette amitié datent d'avant la guerre, imaginez-vous. Papa est parti de Plouec d'ailleurs pour aller à la guerre. C'est là que l'avis de mobilisation l'a touché.
Donc à son retour, il a repris son travail chez Auffray à Guingamp. Nous avons quitté la région de Saint-Alban – je ne me rappelle pas très bien, pas du tout d'ailleurs – quand il a repris son boulot. On l'a suivi bien sûr.
Et nous sommes arrivés à Saint-Quay-Portrieux vers 1922.
Nous avons habité d'abord – ça je m'en rappelle un peu – à la
Ville-Séro. C'est-à-dire que nous habitions la maison qui fait l'angle en descendant au lavoir de Merle, juste en plein cœur de la Ville-Séro, au-dessus de chez Le Mince. Nous n'avons pas dû y rester bien longtemps.
Ensuite nous sommes allés habiter rue des cerisiers, à peine au-dessus de chez Halary là où nous habitions, dans cette cour que j'appelais Courcu, je l'ai toujours appelé comme ça. Là au fond de la cour je m'en rappelle mieux. C'est là que j'ai connu le coin, et Bernard doit bien connaître puisque c'est près de chez sa marraine, près du lion d'or – Bernard qui d'ailleurs n'était pas là à l'époque.

En fait la venelle des Courcus est le nom familier que donnaient les "gens du port" à ce chemin : venelle des "Courtieux" entre les maisons
Curieusement Maryvonne, ma femme, et ses parents ont habité rue des cerisiers dans la maison à l'entrée de cette venelle, près de cette cour, Maman tu ne  nous en as jamais parlé.

 
Et puis c'est là que Papa s'est inquiété de s'installer à son compte – il en avait sans doute un peu marre de travailler toujours comme ça, de se déplacer. Je ne sais pas qui a le certificat, peut-être Laurent ou Mariannick, enfin un des deux conservateurs de la famille, le certificat de travail très louangeur de Papa parce qu'il était vraiment bien estimé. C'est d'ailleurs comme ça qu'il avait été à Trébeurden, où un de mes petits frères était né, vous voyez il avait beaucoup voyagé, vers Ploumiliau et tout ce coin-là.
Donc pour en revenir à nos moutons, il s'est mis à son compte. Il ne pouvait pas à l'époque – je ne sais pas pourquoi, les lois étaient ainsi faites sûrement – se mettre à son compte vraiment, il était lié par un contrat qui l'obligeait à prendre un associé. Pas très longtemps, pour quelques années, je ne sais pas combien. Et là il a pris comme associé, en tant que menuisier – puisque Papa c'est toujours la maçonnerie, avant qu'il se lance dans les travaux publics tout entier – il a pris Louis Tréhen, dont la femme tenait l'épicerie où habite Garnier maintenant. Ce n'est pas ce qu'il a fait de mieux – je ne sais pas ce qu'il s'est passé – Louis Tréhen au bout d'un moment a été déclaré en faillite. D'ailleurs la famille nous en a toujours voulu, ils ne nous ont jamais parlé comme si c'était Papa qui en était responsable, enfin je n'en sais rien, bref.
L'affaire de Louis Tréhen a été vendue et c'était devenu le chantier, que Papa a acquis du coup, et dont ensuite Trébon est devenu propriétaire. Et là-dessus il a donc acheté ce terrain pour Le Refuge – toujours Le Refuge – et il a construit une première maison – j'ai donné dernièrement la photo à Mariannick. Elle est la base du Refuge actuel. On a simplement rasé au niveau du rez-de-chaussée et fait une pièce en avançant un peu sur la cave – la cave actuelle est toujours la même cave – vers le jardin pour agrandir un peu. Elle était en briquettes double-paroi – je la vois encore – cela je m'en rappelle très bien. Il y a toujours eu un perron pour y monter puisqu'il y avait une entrée de cave en-dessous. Et il y avait un de ces mimosas ! On le voit très bien sur la photo. Un mimosa superbe qui embaumait, planté à l'angle de ce perron.
Donc quand elle a été finie, nous avons quitté toutes ces locations du Port et autre et nous sommes allés habiter là au Refuge. Pour la petite histoire, je vous dirais que – et j'ai vu le panneau – il ne voulait pas l'appeler le Refuge, je ne sais pas comment ils en ont discuté entre eu avec Maman – Papa voulait l'appeler La Captive. En souvenir de sa captivité. Et sans doute Maman l'a remporté tout en conservant la même idée, sans le côté noir de cet épisode, puisqu'il a été retenu prisonnier quatre ans. Ils ont décidé de l'appeler Le Refuge. Et voyez, il reste encore aujourd'hui Le Refuge parce que c'est gravé dans la pierre.
La construction du refuge date de 1932
Nous avons habité là jusqu'en... 1936, l'année où je me suis mariée. Oui, d'ailleurs c'est inscrit aussi dans la pierre au-dessus du mur.

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