Les lessives
Puis il y avait les lessives...
La lessive c'était un poème là-bas ! On ne la faisait que deux fois par an ! Oui, il n'y avait pas de petites lessives hebdomadaires. Cela se faisait dans un grand cuveau, un énorme cuveau. C'était une sorte de grande cuve placée sur des tréteaux. Ça ne touchait pas le sol, c'était un peu surélevé.
On y mettait les draps – je ne sais pas tous les combien ils les changeaient, mais il y en avait quelques-uns – et les chemises – parce que les chemises étaient faites de la même toile que les draps, mon Dieu ce qu'elles grattaient, je ne sais pas comment ils ont fait pour supporter ça, les draps et les chemises de toile. Pensez, même s'ils n'en changeaient pas souvent, je ne sais pas tous les combien, en tous les cas cela remplissait bien le cuveau.
Puis on faisait ce qu'on appelait couler la lessive. C'est à dire qu'il n'était pas question de Skip ou autre lessive liquide ou en poudre. Ils mettaient, dans un sac prévu à cet effet, les cendres de bois retirées du foyer. C'était des cendres de bois qui ne tachait pas. On y mettait aussi, je me rappelle, du thym, du laurier pour parfumer le linge.
Tout cela c'était quelque chose, parce que je vous le répète, il n'y en avait pas qu'une seule paire !
Une fois ceci terminé, on allait la rincer au doué, au lavoir quoi, où, agenouillées dans des boîtes en bois, on donnait un coup de battoir, on rinçait à grande eau. Puis le linge était étendu sur l'herbe pour sécher d'une façon naturelle.
La pilerie de place et la lessive sont de très lointains souvenirs, voilà pourquoi ils peuvent manquer de précision.
Jeanne Garoche, née Plihon
Chez Mémère, au port, ça se passait différemment. Maman avait toujours été affligée du rhumatisme, puisque vous m'avez souvent entendue dire qu'elle s'était mariée en chaussons tellement elle avait les pieds déformés – et vous vous étonnez que j'ai de l'arthrose ? Sans doute en aurez-vous aussi. Donc, pour faire la lessive, Mémère employait une laveuse. Je n'ai connu que deux laveuses à Maman dont je me rappelle encore très bien les figures. Plus les noms bien sûr mais seulement les visages. Et la dernière en date était la mère de Simone Le Guen, Fine Moisan.
Là c'était un peu, même beaucoup, différent ! Fine venait prendre le linge sale le matin, sur sa bérouette bien sûr. Elle entrait dans la maison, buvait le café – on en faisait une consommation incroyable dans ce temps-là ! – puis, ainsi réconfortée, elle partait pour le doué de la fontaine. Vous le voyez, là-bas (à l’entrée de l’avenue Paul de Foucault « le lavoir de la barrique»), vous le connaissez ce doué ! Avec le savon, la brosse, le battoir, elle se rendait là-bas. Oh, ce doué... Mon Dieu quel poème ! Imaginez-vous toutes ces femmes agenouillées autour de ce doué. Il y en avait...
Effectivement ce filet d'eau était en caniveau avec des dalles en couverture dans le jardin d'en bas .A son entrée dans celui-ci Pépère y avait planté ses framboisiers .Il mettait en place des barrages sur le caniveau pour que l'eau déborde et arrose son jardin particulièrement les framboises.
Tout se passait là-bas. Et les langues marchaient encore plus vite que les battoirs ! C'était vivant. C'était gai. Toute la commune passait sur ces langues, personne n'y échappait, je pense. Si vous vouliez savoir les nouvelles, il fallait y aller.
J'ai remarqué que quand j'y reviens – et combien de fois j'y passe pour rejoindre la route qui descend à Port-es-Leu – ce n'est pas sans une certaine nostalgie que je revois ce doué. Maintenant finie l'eau d'ailleurs, les courants d'eau... on ne l'entend même plus. Tout est recouvert de cette mousse verte. Tout a un air d'abandon, de tristesse. La fontaine coule toujours bien sûr, mais très peu... comme si elle avait honte de se faire entendre. Plus loin, elle a été canalisée – même mon père l'a canalisée, là où elle passait à travers le pré – mais elle continue quand même sa course jusqu'à la grève du Port-esLeu. C'est d'une tristesse infinie quand on a connu ça si beau ...
La lessive c'était un poème là-bas ! On ne la faisait que deux fois par an ! Oui, il n'y avait pas de petites lessives hebdomadaires. Cela se faisait dans un grand cuveau, un énorme cuveau. C'était une sorte de grande cuve placée sur des tréteaux. Ça ne touchait pas le sol, c'était un peu surélevé.
On y mettait les draps – je ne sais pas tous les combien ils les changeaient, mais il y en avait quelques-uns – et les chemises – parce que les chemises étaient faites de la même toile que les draps, mon Dieu ce qu'elles grattaient, je ne sais pas comment ils ont fait pour supporter ça, les draps et les chemises de toile. Pensez, même s'ils n'en changeaient pas souvent, je ne sais pas tous les combien, en tous les cas cela remplissait bien le cuveau.
Puis on faisait ce qu'on appelait couler la lessive. C'est à dire qu'il n'était pas question de Skip ou autre lessive liquide ou en poudre. Ils mettaient, dans un sac prévu à cet effet, les cendres de bois retirées du foyer. C'était des cendres de bois qui ne tachait pas. On y mettait aussi, je me rappelle, du thym, du laurier pour parfumer le linge.
Tout cela c'était quelque chose, parce que je vous le répète, il n'y en avait pas qu'une seule paire !
Une fois ceci terminé, on allait la rincer au doué, au lavoir quoi, où, agenouillées dans des boîtes en bois, on donnait un coup de battoir, on rinçait à grande eau. Puis le linge était étendu sur l'herbe pour sécher d'une façon naturelle.
La pilerie de place et la lessive sont de très lointains souvenirs, voilà pourquoi ils peuvent manquer de précision.
Jeanne Garoche, née Plihon
Chez Mémère, au port, ça se passait différemment. Maman avait toujours été affligée du rhumatisme, puisque vous m'avez souvent entendue dire qu'elle s'était mariée en chaussons tellement elle avait les pieds déformés – et vous vous étonnez que j'ai de l'arthrose ? Sans doute en aurez-vous aussi. Donc, pour faire la lessive, Mémère employait une laveuse. Je n'ai connu que deux laveuses à Maman dont je me rappelle encore très bien les figures. Plus les noms bien sûr mais seulement les visages. Et la dernière en date était la mère de Simone Le Guen, Fine Moisan.
Là c'était un peu, même beaucoup, différent ! Fine venait prendre le linge sale le matin, sur sa bérouette bien sûr. Elle entrait dans la maison, buvait le café – on en faisait une consommation incroyable dans ce temps-là ! – puis, ainsi réconfortée, elle partait pour le doué de la fontaine. Vous le voyez, là-bas (à l’entrée de l’avenue Paul de Foucault « le lavoir de la barrique»), vous le connaissez ce doué ! Avec le savon, la brosse, le battoir, elle se rendait là-bas. Oh, ce doué... Mon Dieu quel poème ! Imaginez-vous toutes ces femmes agenouillées autour de ce doué. Il y en avait...
Effectivement ce filet d'eau était en caniveau avec des dalles en couverture dans le jardin d'en bas .A son entrée dans celui-ci Pépère y avait planté ses framboisiers .Il mettait en place des barrages sur le caniveau pour que l'eau déborde et arrose son jardin particulièrement les framboises.
Tout se passait là-bas. Et les langues marchaient encore plus vite que les battoirs ! C'était vivant. C'était gai. Toute la commune passait sur ces langues, personne n'y échappait, je pense. Si vous vouliez savoir les nouvelles, il fallait y aller.
J'ai remarqué que quand j'y reviens – et combien de fois j'y passe pour rejoindre la route qui descend à Port-es-Leu – ce n'est pas sans une certaine nostalgie que je revois ce doué. Maintenant finie l'eau d'ailleurs, les courants d'eau... on ne l'entend même plus. Tout est recouvert de cette mousse verte. Tout a un air d'abandon, de tristesse. La fontaine coule toujours bien sûr, mais très peu... comme si elle avait honte de se faire entendre. Plus loin, elle a été canalisée – même mon père l'a canalisée, là où elle passait à travers le pré – mais elle continue quand même sa course jusqu'à la grève du Port-esLeu. C'est d'une tristesse infinie quand on a connu ça si beau ...