Le cidre

Je peux vous raconter aussi le cidre.
            Bien que souvent dans votre enfance – au moins chez Bernard, parce que mes filles peut-être moins – on gardait le souvenir de la façon de faire le cidre.
         Parce que ça aussi c'était notre boisson. Quelques personnes buvaient peut-être de l'eau, mais enfin on buvait surtout du cidre, même les enfants ! Il y avait aussi du vin à la maison, mais pour des circonstances exceptionnelles, pour les fêtes. La boisson quotidienne c'était le cidre.
  D'abord il faillait procéder vers le mois d'octobre au ramassage des pommes. Papa avait des pommiers bien sûr, plein le jardin. Après nous avions le verger à Tréveneuc parce que j'ai toujours compris qu'essentiellement il ne fallait pas utiliser que des pommes blanches. Il fallait mélanger les crus. Les petites pommes rouges donnaient un cidre plus alcoolisé. Les blanches donnaient plus de jus.
Papa faisait la corvée. 
       Tous les jours je le voyais remonter du jardin, ramasser les pommes tombées. Il éliminait quand même les pommes champignonnées, celles qui étaient un peu noires ou avec de la moisissure dessus. Elles pouvaient être un peu tapées ou un peu pourries, cela n'avait pas d'importance.
        Il disposait dans l'angle de la terrasse – que vous avez connue puisque vous êtes photographiés sur cette terrasse – il disposait des planches en hauteur pour qu'elles ne puissent pas se sauver et rouler dans le jardin. Et chaque jour il rapportait sa provision de pommes qu'il déposait sur le tas. Il les entassait comme ça. Au moment où il fallait faire le cidre, il en achetait souvent quelques sacs complémentaires chez les fermiers voisins.
         Cette odeur de pomme, je l'ai encore dans les narines ! Ce fruit mûrissant vous savez... Cela durait jusqu'à ce qu'il juge qu'il en avait assez, car lui calculait approximativement. Il savait combien il en fallait, combien de barriques remplir, etc...
        Ces fûts étaient désinfectés à la vapeur de soufre .Pour cela Pépère allumait du soufre en morceaux dans un petit récipient qu'il introduisait par la bonde, à l'intérieur du tonneau
         Chino faisait également du cidre bouché, il a eu quelques problèmes car en fonction du degré de fermentation, le cidre dégagé plus ou moins de gaz carbonique et faisait exploser les bouteilles, il les a remplacé par des champenoise avec un muselet car les bouchons classique ne tenaient pas

          Alors il commençait à préparer les instruments du cidre. Il préparait d'abord – voyons voir ce que j'ai préparé – les fûts, par exemple. Chaque fût était sorti de la cave, lessivé à la lessive Saint-Marc et rincé – qu'en rinceras-tu ! – là dans la cour, et la boue enlevée – et que je te rince, et que je te rince. Puis il préparait le pressoir qui était démonté d’une année sur l'autre. Le pressoir était en bois bien sûr, et cela se passait dans ce local qu'on appelait la porte branle, pourquoi ? 
          Maintenant il y a le garage, au Refuge on voit qu'ils en ont fait un garage, c'est juste face à l'entrée. Il préparait son pressoir, c'est-à-dire qu'il remontait la table, c'était un grand plateau monté sur pieds bien sûr. Et... si je me rappelle bien, il en bouchait – parce que ça avait séché un peu, il y avait de gros trous, c'était en bois – il les bouchait avec de la bouse de vaches, il me semble que c'est ça. Et ça ça durait quelques jours, on mettait le bois à gonfler, ça ne se faisait pas tout de suite. Ça ne se faisait pas en un jour.              Puis il achetait, il rentrait (ou se fournissait chez le fermier), des bottes de pailles qui allaient servir à la confection des mottes. Il sortait également le moulin, un vaste entonnoir sur pieds si vous voulez, que vous devez connaître, avec une manivelle de chaque côté qu'il fallait tourner, je n'aimais pas ça moi. Il fallait s'escrimer, avec une personne de chaque côté, pour écraser les pommes. Les pommes même si elles étaient mûres, ce n'était pas toujours facile. Mais, il s'est modernisé Papa, j'étais mariée moi, quand votre père lui a procuré, de je ne sais où, un moteur électrique. Alors là, j'évitais la corvée !
          Puis venait le jour, le moulin bien trempé, bien prêt, nettoyé, le pressoir également. On commençait, ça durait, ça occupait le temps. Il commençait la préparation de la motte pour extraire le jus des pommes. Il mettait une couche, assez épaisse, de ces pommes moulues, écrasées. Je le vois encore avec une énorme pelle un peu creuse – comment vous dirais-je ? Le contraire des pelles qui servent à enfourner le pain, vous voyez ? – en métal, une grosse pelle creuse, et il mettait ça sur la motte qu'il installait autour du pas de vis principal. Il la faisait assez épaisse.
         Puis cette première couche de pommes mise, il y étalait une couche de paille, entrecroisées, une couche dans un sens, une couche dans l'autre. Cette couche de paille avait pour rôle et tenait aussi... Oui, de chaque côté, j'ai oublié de dire, il y avait des chevrons en bois qui servaient à bien tenir les pommes pour que la motte soit bien carrée. Il la tirait d'ailleurs parce qu'en plus tout ça c'était fait mécaniquement. Et la paille avait double raison, naturellement de maintenir et séparer les couches, mais aussi, vous savez que la paille étant creuse, chaque paille laissait couler le jus qui sortait de ces pommes. Il montait comme ça genre... oh, je ne saurais que dire... quatre ou cinq couches, à peu près oui. Puis quand il jugeait qu'il avait mis assez de couches de pommes et de paille, il prenait de gros morceaux de bois, très gros, épais, toujours les mêmes, qu'il mettait en travers dessus. Ils étaient chargés de presser si vous voulez. Et alors intervenait cette fameuse grosse vis, sur le pas de vis qui traversait, depuis le haut, qui touchait presque le plafond, pas tout à fait mais enfin presque, jusqu'à la motte. Et là il te serrait. J’entends encore le bruit ! Il avait une barre de fer... mais c'était bien fait, ce n'était pas du travail n'importe lequel. C'était des instruments qui servaient. Et là on allait aussi. Alors le soir après manger, quand il faisait nuit, il disait :
– Allez, on va aller tirer un peu sur la motte !...
C'était une vis à pas carré sur laquelle était montée une roue à cliquets que l'on manœuvre avec un levier de deux mètres de long : Clic clac clic ....

         Alors il fallait aller. On était deux d'un côté, on tirait sur le bras, lui il allait en face, il tirait. On pressait pour laisser le jus s'écouler. J'ai oublié de le dire, bien sûr la table du pressoir comportait un petit orifice qu'on bouchait, puis la motte finie, on libérait le trou et le jus tombait dans un baquet. Il coulait ce jus, qui d'ailleurs me ravissait, combien de fois j'en ai sucé avec ces brins de paille, parmi le bourdonnement des guêpes et des abeilles, mais j'aimais ça ! C'était très sucré. Et on pressait tout ce qu'on savait. Jusqu'à ce qu'il juge, oui ça durait un moment, toute la nuit. Ça ressemble à... Vous diriez que ça a le goût de raisin, mais c'était de la pomme !
        Et ensuite, ça c'était du pur jus, je peux vous le dire, et naturel ! Puis quand il jugeait que les pommes avaient à peu près donné le maximum de leur jus. Il défaisait la motte, couche par couche, précautionneusement, je le vois encore. Il mettait ça dans un autre grand cuveau, il jetait la paille bien sûr, et il remettait de l'eau sur toutes ces pommes écrasées. Au bout d'un certain temps qu'elles avaient trempé, il en refaisait une deuxième motte semblable à la première. Et là évidemment ça donnait un jus un peu moins corsé en alcool mais...
        Il avait ses dosages, je ne sais pas trop comment il faisait. Ou il avait du pur jus, avec lequel il faisait son fameux cidre bouché, qui était délicieux. Ou il donnait un cidre moins alcoolisé mais plus courant pour boire tous les jours, puisque là l'eau entrait en jeu. Je pense que pour la fermentation aussi il fallait de l'eau. Mais vous savez ça durait... entre octobre et novembre, ça prenait beaucoup de temps.
       Et puis bien sûr c'était mis dans les barriques. Petit à petit le jus était descendu avec un grand entonnoir et passait dans un tuyau métallique qui le vidait dans les fûts. Laissant la bonde ouverte. C'était amusant, forcément ça crachait, je disais que ça crachait. Ça fermentait dans la barrique et on voyait l'écume monter et sortir par la bonde. Plusieurs fois il allait raclait ça. On dirait houiller maintenant, il mettait un peu d'eau pour compenser un petit peu pour qu'il y ait toujours la même hauteur de jus au niveau de la bonde. Et puis ma foi la nature faisait son travail, et le jus se transformait en alcool...
       Et ce qui faisait, je pense, la saveur de tout ça – ça ne se mesurait même pas – c'était l'expérience. Papa – et les autres – avait le chic pour utiliser les bonnes doses, savoir l'époque favorable... C'était marqué, remarqué. Je me souviens que sur le fond de la barrique, il y avait des traits à la craie, qu'il barrait ensuite. Je ne sais pas si ça voulait dire combien de jus, de cidre il avait mis là-dedans... Il savait quel était le bon cidre, le moins bon, celui qu'il fallait tirer le premier. Pour faire le cidre bouché, je m'en souviens, il avait une époque précise. Il ne fallait pas qu'il soit trop fermenté, bien sûr pour garder un peu de sa saveur sucrée. Et en même temps il avait déjà fait un peu d'alcool. Il mettait lui-même le cidre en bouteille, fermait avec un bouchon... Je vous assure que c'était un travail ! J'ai surtout connu ça quand il a quitté l'entreprise, mais Papa a toujours fait son cidre. Il avait toujours ses occupations. Je ne l'ai jamais vu inactif, même en dehors de l'entreprise.
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